LUCAS DE LEYDE

LUCAS DE LEYDE
LUCAS DE LEYDE

LUCAS DE LEYDE (1489 ou 1494-1533)

Salué par Van Mander, en 1604, comme une merveille de la nature et déjà célébré dès le XVIe siècle par Vasari, Lucas de Leyde (Lucas van Leyden) est un enfant précoce et prodige: il aurait gravé dès l’âge de quatorze ans (sa première gravure connue, L’Ivresse de Mahomet , date de 1508, et Van Mander, qui a interrogé le petit-fils de Lucas, fait naître ce dernier en 1494, date contestée par certains, qui préfèrent la reculer jusqu’en 1489). Lucas de Leyde est, de fait, l’un des tout premiers artistes néerlandais à avoir bénéficié d’une réputation internationale.

Élève de son père Hugo Jacobsz et surtout de Cornelis Engelbrechtsz, virtuose maniérant du gothique tardif qui lui donne ce goût des couleurs aiguës et des formes capricieuses, Lucas de Leyde fait à Anvers, en 1521, une mémorable rencontre avec Dürer, qui lui acheta tout son œuvre gravé — flatteur hommage d’un aîné qui l’avait déjà beaucoup marqué —, puis il visite les Pays-Bas du Sud en 1522 (plutôt qu’en 1527, date avancée par certains historiens) avec Gossaert, qui est dans la même ambiguïté stylistique, partagé entre l’expressionnisme débridé du gothique finissant et les nouveautés froides et impeccables de la Renaissance italianisante.

Artiste fastueux mais vite usé par le travail et la maladie, Lucas de Leyde accepte encore en 1526 sa plus importante commande, Le Jugement dernier de Saint-Pierre de Leyde (aujourd’hui au musée de cette ville), mais il disparaît dès 1533 dans la force de l’âge, sans élèves et presque sans suiveurs dignes de lui (sauf peut-être Aertgen van Leyden, qui a peint en partie La Prédication d’Amsterdam) tant fut grande d’emblée sa perfection technique qui n’en explique que mieux son immense rayonnement posthume: comme il en advint pour Dürer, et précisément à cause de leur œuvre gravé, les XVIIe et XVIIIe siècles, au plus fort de l’esthétique classicisante anti-primitifs, retinrent toujours au nord de l’Italie et pour une époque jugée si «barbare» le nom de Lucas, volontiers associé à celui du maître de Nuremberg.

Cette importance de la gravure et, par voie de conséquence, du dessin dans l’œuvre de Lucas de Leyde, à côté de la peinture, cette universalité même de techniques, d’inspiration et de curiosités (il fut aussi bon portraitiste que peintre religieux, pratiqua le nu et le sujet antique ou mythologique, l’histoire sacrée ou le genre, ne dédaigna ni les dessins d’ornement, ni les xylographies et les livres illustrés, ni les projets de vitraux, grava sur cuivre comme sur bois) et jusqu’au parallèle avec Dürer plus justifié qu’on ne pense à cause de la profonde influence des gravures de l’Allemand sur Lucas de Leyde, tout atteste en Lucas un homme nouveau, un artiste «moderne» qui tranche singulièrement sur ses immédiats prédécesseurs de Leyde ou même d’Anvers, encore dominés par un expressionnisme et une fantaisie «maniérisante» typiques du dernier gothique: Lucas comme Dürer, comme Gossaert, Metsys ou Holbein, saura les maîtriser et les plier dans une langue plus claire, mieux articulée, moins personnalisée, devenue plus universelle et comme internationale, d’une perfection en quelque sorte rassurante et d’une dignité «humaniste» qui est la marque de la Renaissance. Aussi bien doit-on observer à côté de Dürer l’influence sur Lucas de Leyde de l’Italien Marcantonio Raimondi (ainsi dans ses gravures de nudités mythologiques et bibliques où perce le souci nouveau du canon et des proportions: Les Vertus , Loth et ses filles , Mars, Vénus et Cupidon , toutes estampes datées de 1530). Mais, au-delà d’italianismes habiles, il faut encore saluer chez Lucas des qualités toutes nordiques: l’attention au réel et à la psychologie des personnages, le sens intimiste et familier de la narration (ainsi dans ses Évangélistes de 1518, dans sa populaire Danse de la Madeleine de 1519), l’équilibre savant et correct entre la part de la représentation et celle de l’esthétique, qui expliquent l’extraordinaire vogue des gravures de Lucas — un Goltzius à la fin du XVIe siècle se sentira obligé de les pasticher — et marqueront tant de peintres néerlandais, d’Adriaen-Pietersz van de Venne à Lastman et Rembrandt (la fameuse Laitière de 1510 n’aurait-elle pas touché le jeune Potter?).

Plus restreint, l’œuvre pictural de Lucas présente la même absence de débuts, la même perfection juste et mesurée; il apparaît déjà presque tout formé dans Les Joueurs d’échecs de Berlin (Staatliche Museen) et La Tireuse de cartes du Louvre (à dater vers 1508-1509). Couleurs vives, figures coupées à mi-corps, facture précieuse et écriture picturale ciselée caractérisent cette première production connue de Lucas qui peint dès le début dans un métier et avec un esprit de graveur. Ce métier pur, propre et lisse, d’une extrême aisance technique, recourra de plus en plus à des éclairages nets et froids quasi lunaires mais très efficaces d’étrangeté, à des contours ciselés, à des décolorations nacrées bleu-vert-blanc d’une fraîcheur suraiguë très intense et très lisible, comme l’attestent des œuvres parfaitement mûries, intelligentes et sûres jusque dans leurs crispations maîtrisées et leurs outrances formelles figées et calculées, telles La Tentation de saint Antoine de Bruxelles, L’Annonciation de Munich ou les Vierge d’Amsterdam et de Berlin au charme calligraphique très prenant (formes aplaties sans relief mais délicieusement contournées afin d’animer la surface), et surtout les grands chefs-d’œuvre que sont les retables du Jugement dernier à Leyde (1526-1527) et de L’Aveugle de Jéricho à Saint-Pétersbourg (1531), ainsi que l’exceptionnel petit triptyque portatif, d’une incroyable vivacité de dessin et de couleur qu’est L’Adoration du veau d’or au Rijksmuseum d’Amsterdam, où jamais Lucas ne montra tant de minutie et d’animation formelle, de luxe polychrome, de profondeur spatiale et de poésie rare et capricieuse.

Lucas de Leyde
(v. 1494 - 1533) peintre et graveur hollandais.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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